Le capitaine ne répondit rien, continua sa route, et le soir nous arrivions à Anarova. Après avoir jeté la sonde, il ne croit pas prudent de mouiller, et reprend le large pour passer la nuit. Le lendemain, qui était un dimanche, nous abordons enfin. Le second du navire était un jeune Mangarevien, nommé Daniel, qui parlait un peu l'anglais et le français, et se trouvait d'ailleurs en mesure de s'entendre avec les habitants de l'île de Pâques, dont la langue a beaucoup de rapport avec celle de Gambier. C'est lui qui fut chargé de conduire les Kanacs à terre. Il ne tarda pas à revenir. Pauvre Daniel! Il était tout hors de lui. Avant même de remonter à bord, il engagea avec le capitaine une conversation animée, et à laquelle je ne compris rien, car ils parlaient l'anglais. Qu'avait-il donc? __ Je ne retournerai pas à terre pour mille piastres, me dit-il; ce sont des gens horribles à voir. Ils sont menaçants, armés de lances; la plupart sont entièrement nus. Les plumes qu'ils portent comme ornement, le tatouage, leurs cris sauvages, tout leur donne un aspect affreux. Puis, la petite vérole fait des ravages dans l'île. Quelques-uns de ceux qu'on a ramené du Callao ont apporté l'épidémie, qui s'est répandue partout, excepté à Anakena. En effet, sur cent malheureux qu'un navire avait pris au Callao (Pérou), quinze seulement avaient échappé à la mort, et avaient communiqué la petite vérole à leurs compatriotes. Les Kanacs qui ont connu cette maladie en ont une peur indicible. Daniel en avait entendu parler, et, frappé du teint rouge qu'il avait remarqué chez les indigènes, il l'avait regardé comme un effet du fléau dont on lui avait, du reste, exagéré les ravages. Daniel, donc, effrayé du danger qu'il croyait avoir couru, avait mis l'alerte à bord. |
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