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commence à dresser les bois. Mais il fallait m'arrêter à chaque instant, et entendre les avis qui se succédaient, tantôt pour suspendre, tantôt pour continuer le travail. Après bien des alternatives, les spectateurs comprirent que ce qui les avait tant intrigués était une maison. Je n'avais pas, bien entendu, choisi le terrain; je m'étais contenté de dresser les montants autour des malles; l'ouvrage achevé, j'eus la consolation de voir mes effets sous clef, et l'espoir de coucher chez moi. Nous étions au soir. Il m'était enfin donné de respirer: j'avais un gîte; ce qu'on ne m'avait pas volé était dans ma maison, et j'avais la clef dans ma poche. En ce moment, Temanu, un des Kanacs, vint m'offrir trois poules. Alors je fis aussi connaissance d'un homme qui devait avoir avec moi de trop nombreux rapports: mon mauvais génie venait de m'apparaître en la personne de Torometi... A la vue des poules, il s'approche de moi et les demande, "pour me débarrasser, dit-il, et pour les faire cuire." Il m'en débarrassa en effet, et, pendant mes neuf mois et neuf jours de séjour à l'île de Pâques, le drôle continuera, avec une persévérance à toute épreuve, de me débarrasser de tout ce que j'avais apporté, et qui ne me gênait guère. Torometi est un homme de trente ans, grand et fort comme les indigènes de l'île. Son air faux et contraint inspire la défiance et justifie sa mauvaise réputation. On m'a dit qu'il n'appartient pas à la race de l'île de Pâques. Cependant c'est bien un Kanac; il a ses frères et une nombreuse famille. Je m'aperçus qu'il jouissait d'un grand ascendant sur les voisins. Il ne me serait pas facile de bien caractériser l'autorité des chefs dans cette île; je ne sais même sur quel |
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