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fondement elle repose. Il semblerait que c'est tout simplement une influence prise par quelques-uns sur leurs voisins, et qu'on s'habitue peu à peu à reconnaître. Toujours est-il que Torometi était visiblement un chef: c'était mon chef et mon voisin. Sa maison ne se trouvait qu'à quelques pas de la mienne, et néanmoins il ne se jugeait pas assez près de moi; car, la nuit venue, il me dit d'ouvrir la porte, s'étend sur mes malles sans cérémonie aucune, et m'invite à dormir. Il venait de prendre possession de mon logis. Me voilà définitivement établi dans ma nouvelle patrie. Je suis accepté, je suis reconnu de toute l'île, ou du moins je ne tarderai pas à l'être. Ma résidence va devenir le point de réunion de tous les curieux, c'est-à-dire de tous les habitants. Je suis le Papa, l'étranger qu'on voudra connaître, qu'on voudra voir travailler, et surtout qu'on s'appliquera à exploiter. Vous pouvez déjà, très-révérend Père, vous figurer assez exactement ma vie à l'île de Pâques. Torometi me regardera comme sa propriété, moi et mes effets. En cette considération, il me fournira, chaque jour, ma ration de patates cuites; il tiendra à me nourrir. Aussi pourrai-je consacrer toute la journée à l'instruction des indigènes. C'est ce que j'ai pu faire depuis mon arrivée jusqu'à mon départ. Je n'ai eu guère que deux espèces de distractions: le travail le plus indispensable pour cultiver un petit coin de terre et y semer les graines de légumes que j'avais apportées, puis ma défense et celle de mes effets contre les prétentions toujours croissantes de Torometi. En dehors de cela, mon séjour à l'île de Pâques a été une longue classe, un long catéchisme, interrompu seulement par de courts moments de repos et quelques petits incidents. |
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